Je m’appelle Zoé… Zoé Williams, comme James… James Bond. Je sais pas me présenter alors je fais comme les autres. J’ai pas de personnalité. J’ai pas le piment, le grain de caractère qui différencie les uns des autres. Non, moi je me différencie par ma banalité. J’aime plus l’piment.

Esprit morne

En fait je crois que mes salopards de géniteurs ont emporté tout ça dans leur tourbillon, qu’ils m’ont noyé à moitié avec eux. Oui, ces deux-là sont morts, immergés, submergés, noyés. Mais tout seuls, sans aide, volontairement parce que sinon ça aurait été trop facile pour moi ! Non, ils se sont laissé envahir par l’eau fraiche du printemps devant mes yeux.

J’avais 11ans, c’était il y a 11 ans

C’est l’âge ou on est plus enfant, on n’est pas adolescent, on est juste conscient. C’est ça, j’étais consciente quand j’ai crié «Maman, j’arrive à tenir encore plus longtemps sous l’eau ». J’étais consciente quand j’ai vu de mes petits yeux fiers et innocents leurs deux corps flasques qui flottaient.

J’avais rien venu venir.

Et ce fut la dernière fois que «maman » était sortie de ma bouche. Après ça, j’ai été trimballée, d’abord chez mon oncle. On ne parlait pas de ce qui c’était passé. De toute façon, personne ne savait pourquoi ils avaient fait ça ! En fait je lui parlait pas du tout parce que c’était le frère de mon père et c’était qu’avoir trop de lien avec eux !

La haine est un ivrogne.

Ça me fait mal de ressasser le passé. Cette histoire aurait dû m’endurcir. Mais non, Zoé est vulnérable, Zoé est frêle, Zoé est volatile. Je suis une fleur fanée, c’est mieux… Je tiens debout grâce au théâtre. Je suis comédienne. D’ordinaire, je suis incapable de parler en public. Mais sur scène, ce n’est pas moi, je prête simplement ma présence à mon personnage. C’est le seul truc qui ne s’est pas noyé avec toute cette merde ! Le seul don que j’ai. Je vis pour faire vivre des personnages et ils m’inspirent pour me reconstruire.
Pour estomper mes souvenirs, j’ai quitté le Québec. J’y ai jamais été chez moi de toute façon. Je suis née là bas mais je n’ai pas d’accent. Ça a toujours jeté un froid.

J’ai trouvé mon insociabilité confortable.

J’ai fait des progrès là-dessus mais ya toujours des moments où ça ne va pas. Et quand je vais mal, je me pose sur mon lit et j’épuise mon stock de chocolat. Je me goinfre comme une grosse espérant que mon mal passera quand mes larmes sècheront et que mon stock sera vide. Je sais que ça ne change rien à mes problèmes.

Mais je préfère m’encrouter plutôt que de me prendre la vie dans la face.

Je viens d’emménager dans un quartier étrange. J'ai du mal à dire si je m'y plais ou pas. Je ne connais pas moins de monde que " là-bas". Je crois que ma voisine va bientôt me connaitre. L'idée d'aller sonner chez elle me terrorise mais je ne supporte plus les bruits qui sortent de chez elle. Je crois que c'est de la musique mais par la fenêtre, je la vois souffler dans un tuyau. Je bouche mes oreilles, m’assoie sur une chaise pour réciter mes textes,

Et je regarde dans la glace mon teint morbide.