Je suis née le 19 Mars 1989, à Woodlands. J'ai mon père, ma mère, mon frère mes grands-parents, mon Oncle Oliver et mes deux tantes Jane et Meredith. Je n'ai jamais connu d'histoires dramatiques ou choquantes même pas extraordinaires. Aucun lourds secrets de famille, de décès mystérieux ou quoique ce soit. J'ai toujours été en bonne santé, hormis le fait que j'attrape très vite froid et que ma maladresse me vaut parfois pas mal d'égratignures voir des os cassés (ce cas-là vraiment, vraiment, les jours où je ne fais vraiment pas attention). Je ne suis pas une surdouée des sciences, ni des lettres, et encore moins des arts, mais comme je suis du genre bosseuse et obstinée j'ai toujours réussi dans ce que j'entreprenais. J'ai connu la joie et la tristesse, l'engouement et la déception, l'amour et donc bien sûr la haine. Bref, je pense être quelqu'un de normal. Je ne suis pas croyante, enfin disons que j'ai certains moments il faut l'avouer. J'ai horreur de la science-fiction et le fantastique ne me branche pas plus que ça. Pourtant, si jamais je pouvais voyager dans le temps, je le ferais sans hésitations. Un événement et tout bascule, une petite erreur et tout est changé. Ou comment la bêtise personnelle se répercute injustement sur autrui.

J'entrais dans la pièce et me dirigeai directement vers la fenêtre qui faisait face à la porte. Je tirais doucement les rideaux et laissai ainsi la lumière du jour pénétrer la chambre. Après avoir légèrement entrouvert la dite fenêtre histoire d'aérer un tant soit peu et masquer l'infâme odeur que renfermait la pièce, je me dirigeais le plus silencieusement possible - j'ignore encore pourquoi je prenais de telles précautions - je m'approchais du lit et attrapai délicatement la main du jeune homme qui s'y trouvait. « Bonjour... » Je murmurais dans un premier temps. Aucune réponse ne me parvint. Bon soit. « Bonjour. » Je répétais une nouvelle fois un peu plus fort. Toujours rien. Je lâchais un léger soupir qui faisait presque muettement gage de ma déception. J'allais m'asseoir dans le fauteuil que j'avais moi-même rapproché du lit. Bon, il semblerait que j'allais juste patiemment attendre qu'il se réveille, pour changer.

Pour la énième fois, je passais la chambre en revue : propre, ce qui était rassurant quand on y réfléchissait, et affreusement simple. Du blanc, partout, du plafond au sol, du blanc comme si on était au Paradis ou un truc comme ça. Un lit, une petite table de chevet, un fauteuil et une énorme plante verte en pot dans un coin. C'est tout. Glauque. Peut-être que je devrais quelque chose de cette pièce, la rendre un peu plus accueillante et chaleureuse, un peu moins morbide tout simplement. Enfin, le fait étant que je n'étais pas très sûre de pouvoir me le permettre. Je veux dire ce n'était pas ma chambre après tout. Et vu déjà comment j'avais galéré pour faire rentrer cette satanée plante... Je reportais mon attention sur le jeune homme. « C'est quand tu veux très sérieusement. » Je marmonnais pour moi-même, il n'avait absolument pas bougé.

Des fois, je me pose des questions vraiment - mais totalement - stupides quoi. Du genre : ce qu'il faisait de ses journées avant, ce à quoi il pensait là maintenant ou plutôt rêvait pour être plus exacte ou encore ce que je lui dirais lorsqu'il se réveillera. Si jamais, c'était le cas bien entendu. Je soupirais lourdement, aujourd'hui, si ce n'était pas évident, je n'étais pas spécialement d'humeur, plutôt dire que j'avais le moral plus bas que terre, et pourtant j'étais quand même là; comme à chaque fois. Je fermais bien hermétiquement les yeux, légèrement à bout. Lui dormait paisiblement tandis que je cherchais à renouer avec le sommeil depuis des mois, en vain. Ironiquement, j'avais découvert à mes frais, que je n'avais pas besoin de dormir pour faire des cauchemars. Non, quand ça veut, ça vient. Constamment, sans répit, répétitif et toujours aussi accablant.

C'était en fin d'après-midi, je viens tout juste de quitter l'agence et clés en main je me dirige vers le parking. Je dois faire vite parce que ce soir j'ai un rendez-vous, professionnel ou personnel, je ne me souviens même plus. Ce n'est qu'après avoir parcouru de nombreux kilomètres que je me rends compte que j'ai oublié mes sketches au bureau. Tout en gardant une main sur le volant, je cherche à tâtons mon téléphone dans mon sac à main. J'écris à Andrea la stagiaire et lui demande de les descendre à l'accueil que je repassais les prendre rapidement, puis j'envoie. Ça va très vite, extrêmement vite, trop vite. Alors que mon regard se repose sur la route, une moto se trouve sur mon chemin et j'essaye de freiner mais ça ne répond pas assez, alors je tourne d'un coup sec le volant afin de l'éviter, mais trop tard. Ça va très vite, extrêmement vite, trop vite même. Un bruit sourd, le choc de l'impact, et trou noir. J'ai tué quelqu'un ce jour-là. Enfin, techniquement, pas tout à fait, pas encore du moins c'est ce que je me dis juste. Plus les jours passent et plus la culpabilité me prend. Ça attaque comme l'acide et ça ronge comme la rouille, et surtout -surtout- absolument rien n'y fait. Ça reste. Et ça ne part pas.

Trois mois exactement. Trois mois depuis l'accident, mes hématomes ont disparu et ma plaie à l'arcade n'a plus rien d'impressionnant. La cicatrice qu'il en reste est là tout comme si j'avais été marqué à vie. Enfin, pas besoin d'une cicatrice pour me le rappeler. C'était gravé dans ma mémoire de la même façon que l'on gravait la roche. Dès que je fermais les yeux je voyais la scène en boucle, et encore, et encore. On m'a dit que normalement je ne devrais même pas m'en rappeler, c'est selon la thérapeute. Elle m'a aussi dit que la seule raison logique pour que ces images me soient revenues c'est parce que j'étais en train de m'infliger une sorte d'auto-punition. Indirectement. Tout comme mes visites quotidiennes. Tous les jours, sans jamais manquer à l'appel, je rendais visite à ma victime.

Si je pouvais remonter le temps... je ne sais même pas à partir d'où je recommencerais. Peut-être que je m'interdirais d'envoyer le maudit texto. Risqué. Peut-être alors, je ne ferais pas demi-tour pour récupérer mes sketches. Pas assez. J'aurais pris un taxi ou les transports ? Je serais rentrée chez moi à pied mais vraiment pour être sûre quoi. Mais qu'est-ce que je raconte ? J'ouvris les yeux fixant ce corps allongé depuis une éternité dans ce lit. Comme un cadavre. Cela ne servait à rien d'y penser, cet homme était déjà mort. Pas officiellement, mais je pouvais sentir que ce n'était qu'une question de temps à présent. Le bip du moniteur cardiaque se faisait toujours entendre, il était stable. Mais la stabilité au final, c'est comme la monotonie, pas vrai ? La monotonie c'est quoi ? Et bien c'est le début de la fin. La monotonie c'est quand il n'y a plus rien. Plus rien à voir, plus rien à sentir, à entendre, à toucher, rien à goûter. Plus rien, et vous savez à quoi ça me fait penser moi ? A la mort. Je soupire une nouvelle fois et porte les yeux à ma montre : treize heures déjà. Je dois aller au travail. J'avais repris depuis peu, mais rien qu'à mi-temps. Et rien qu'un boulot de vendeuse. Pour moi c'était déjà trop mais bon. Je faisais plus semblant qu'autre chose même si, je n'étais pas celle qui se trouvait dans un profond coma. Mais à bien y réfléchir, cela revient au même.